Ce lundi, le monde entier a été frappé par l’annonce du décès de David Bowie, une icône que l’on s’était pourtant résolu à croire immortelle. Cet artiste pluridisciplinaire n’a pas seulement marqué à jamais de son empreinte la pop culture, mais la culture en général ainsi que l’inconscient collectif durant plus de cinq décennies.
Nous nous intéresserons ici aux différentes périodes musicales abordées par ce touche-à-tout de génie et à l’influence majeure qu’il est devenu pour de nombreux créateurs.
Cet homme était un explorateur, un défricheur de nouveaux courants musicaux qu’il abandonnait ensuite pour les laisser aux autres et continuer son chemin.
Les débuts musicaux de David Robert Jones ne donnaient pas forcément d’indices sur la destinée de cette future star connue sous le nom de David Bowie.
En 1967, son album éponyme, et premier disque de sa carrière, se situait sans grande originalité dans son époque avec une pop british des plus classiques et ne connut d’ailleurs pas le succès.
Son premier coup d’éclat fût l’utilisation de sa chanson Space Oddity en 1969 par la BBC pour la couverture en direct et en mondovision de la mission Apollo et les premiers pas de l’Homme sur la Lune. Ce titre produit par Gus Dudgeon, le futur producteur d’Elton John, est le premier vrai indicateur d’un artiste avide d’expérimentations sonores mêlées à de la musique pop.
Il devient alors une sorte de second couteau sur la scène anglaise avec les albums Space Oddity (la première collaboration d’une longue série avec le producteur Tony Visconti) en 1969, puis The Man Who Sold the World (plus énervé que le précédant avec l’apparition de guitares distordues et rageuses) l’année suivante, ainsi que le magnifique et plus épuré Hunky Dory en 1971.
C’est dans ce dernier qu’on entendra son amour pour le Velvet Underground et Andy Warhol dont une chanson porte même le nom. Le créateur de la Factory, cet atelier déjanté d’artistes situé à New York, déclarera trouver ce morceau insipide et passera à côté du fabuleux potentiel en devenir de Bowie.
Life on Mars? s’inspire de la chanson de Claude François Comme d’habitude dont on lui avait demandé dans la fin des années 60 de faire l’adaptation en anglais. Ce sera finalement le Canadien Paul Anka qui signera la version anglaise. Bowie parodie ici l’interprétation du crooner Frank Sinatra, une sorte de petite vengeance personnelle en définitive.
Pour son prochain disque, il décide d’inventer et se cacher derrière Ziggy Stardust, un personnage excentrique venu des étoiles et accompagné par son groupe d’extra-terrestres. Cela va lui permettre de s’affranchir des limites et des codes existants pour s’exprimer enfin sans entraves et découvrir de nouveaux territoires musicaux. The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars parait en 1972.
La guitare de Mick Ronson y est très présente et les deux comparses entament alors une collaboration qui durera quelques années.
En juillet de cette même année, le groupe fait une prestation télévisuelle en interprétant Starman. La jeunesse anglaise découvre alors sa nouvelle coqueluche et le représentant majeur du courant musical glam rock.
La vie de David Bowie bascule. Une star est née.
Lors d’une tournée aux Etats-Unis, il compose de nouvelles chansons et crée un deuxième personnage du nom d’Aladdin Sane, un jeu de mots avec a lad insane (un gars dérangé). Il le conçoit comme le faux jumeau de Ziggy, son double mélancolique.
Aladdin Sane sort en 1973. Les arrangements musicaux y sont plus dépouillés que le précédant LP et le son du piano de Mike Garson prend une place importante dans l’esthétique sonore du projet.
Mais David Bowie se sent écrasé par le succès incroyable de Ziggy et Aladdin, ces personnages qu’il a inventés mais qu’il ne contrôle plus et l’emprisonnent. Il décide alors de les tuer lors du concert désormais mythique du Hammersmith Odeon, le 3 juillet 1973, lors de Rock’n’Roll Suicide, l’ultime chanson du show.
Il prendra les traits d’Halloween Jack, le personnage de Diamond Dogs (1974) qu’il imagine comme un être violent et maléfique inspiré par 1984 de George Orwell et Orange Mécanique de Stanley Kubrick.
Pour ce nouvel opus, il se sépare de Mick Ronson, son guitariste et collaborateur le plus proche. L’atmosphère de l’ensemble est plus enragée et nihiliste que ce qu’il a fait auparavant. Cet album est souvent considéré comme la première pierre du « No Future » qui sera scandé trois ans plus tard par le mouvement Punk.
Il s’exile alors aux USA, dans la ville de New York, puis à Los Angeles. Là, il imagine un nouveau personnage à incarner, Thin White Duke (Maigre Duc Blanc), sorte de chanteur de cabaret allemand de l’entre-deux-guerres. Certaines mauvaises langues y verront même un officier SS en civil ! Lors de cette période, il abuse des drogues et de la cocaïne en particulier. Cela entraîne chez lui des délires paranoïaques et une autodestruction à petit feu.
Il sort Young American en 1975 en s’entourant de nouveaux musiciens. Ce nouvel effort s’articule autour de la culture noire américaine et des sons issus de la soul et du funk.
Son compatriote John Lennon, exilé lui-aussi aux USA, coécrit avec lui le single Fame qui devient son premier numéro 1 dans les charts outre-Atlantique. L’album est un succès dans le vieux et le nouveau continent.
L’année suivante, c’est Station to Station et son funk robotique qui voit le jour. On y retrouve les influences de l’album précédent et celle des groupes allemands Kraftwerk et Can. C’est une sorte de transition avec une nouvelle période qui s’annonce à lui. Il repart alors pour son Europe natale, loin des excès qui l’ont détruit en Amérique.
Dans ses valises, il embarque aussi son ami et véritable double négatif, le sulfureux Iggy Pop, avec qui il a une complicité souvent considérée comme amoureuse. Il produit d’ailleurs The Idiot (1977), le premier album solo de l’iguane, en France dans les studios du Château d’Hérouville.
Dans ce lieu si particulier, Bowie commence à élaborer les bases de son prochain album avec le duo Tony Visconti/Brian Eno.
Les trois comparses décident de partir s’installer à Berlin où l’émulation artistique et culturelle est à son comble. C’est là que va s’enregistrer la trilogie berlinoise composée de Low et Heroes en 1977 puis de Lodger en 1979.
La ville allemande est un nouveau départ pour l’artiste. Là, il n’est plus question de personnages inventés. David est Bowie, sans aucun artifice.
Avec Brian Eno, ils explorent des contrées sonores expressionnistes imbibées de sons synthétiques et sombres. Sa maison de disques prend peur en écoutant les bandes et lui ordonne de retourner en studio pour enregistrer de nouvelles chansons plus commerciales. Il n’en fera rien, bien sûr.
The Idiot d’Iggy Pop et cette trilogie berlinoise enregistrée aux Hansa Studios influenceront le son new wave des années 80 avec en tête de liste des groupes comme Ultravox, The Human League et Joy Division.
David Bowie devient le roi des 80’s avec Scary Monsters (1980), pavé de guitares agressives et un côté très dansant. Le single Ashes to Ashes culmine aux premières places de tous les charts.
Le monsieur enfonce définitivement le clou avec Let’s Dance et son single du même nom en 1983. L’album est produit par Nile Rodgers du groupe Chic. MTV diffuse le clip en boucle, c’est un carton planétaire.
Malgré des collaborations avec Queen (Under Pressure), Madonna et Michael Jackson, il s’engouffre dans une traversée d’un désert artistique pendant cette décennie concernant ses productions personnelles.
Son nouveau groupe Tin Machine (deux albums en 1989 et 1991) peine à susciter l’engouement auprès des fans et de la presse.
Sa renaissance musicale arrive enfin en 1995 avec Outside réalisé avec Brian Eno. Il prend à nouveau des risques en piochant ses influences dans la culture techno et le rock industriel de Nine Inch Nails.
Il récidive en 1997 avec Earthling, produit avec Reeves Gabrels, qui mêle un rock parfois punk avec de la jungle, de la techno et du drum’n’bass.
Les disques Heathen (2002) et Reality (2003) sortent sous la double étiquette Columbia et Iso, le label créé par Bowie. Ils marquent les retrouvailles avec son vieil ami et producteur Tony Visconti.
Son dernier album Blackstar sort le jour de son soixante-neuvième anniversaire, le 8 janvier de cette année 2016. On y retrouve le côté aventureux de l’artiste avec des titres longs qui ne sont pas formatés pour la radio, des sonorités free jazz, des ambiances crépusculaires et le saxophoniste Donny McCaslin en fil conducteur. A-t-il pensé cet opus comme un testament ? Des messages sont-ils cachés ? Connaissant sa carrière si particulière et à nulle autre pareille, il n’y a aucun doute. À nous de le découvrir.
Nous avons toute notre vie pour écouter, apprécier, découvrir, redécouvrir et s’inspirer de son œuvre tentaculaire. Un génie vient de s’envoler vers un ailleurs, mais il restera à jamais avec nous.